|
Le cri du cœur de Jean-Pierre Raffarin suffira-t-il à faire changer d'avis les électeurs ? Alors que le premier ministre estime qu'"appeler au vote de sanction nationale pour des élections régionales" est une idée particulièrement "passéiste" (Le Monde du 16 mars), de plus en plus de Français paraissent tentés d'adresser un avertissement au gouvernement à l'occasion du scrutin des 21 et 28 mars.
La cinquième vague - et dernière avant le premier tour - du "Baromètre des élections régionales" réalisé par l'institut TNS-Sofres pour Le Monde, RTL et LCI, confirme et amplifie, de ce point de vue, la tendance enregistrée lors des précédentes enquêtes. 70 % des sondés - soit 3 points de plus par rapport au sondage précédent, qui avait été réalisé les 25 et 26 février - souhaitent désormais que "les électeurs profitent de cette élection pour manifester leur mécontentement" à l'égard du gouvernement. Ce chiffre de 70 % est le plus haut qui a été enregistré depuis la première enquête de ce type, réalisée à la mi-janvier. Parallèlement, les sondés ne sont plus que 18 % - contre 22 % précédemment - à vouloir que les électeurs expriment "leur soutien" au gouvernement. Il s'agit là encore d'un record, mais cette fois à la baisse.
Cette aspiration plus forte à un vote-sanction est davantage marquée chez les moins de 50 ans. Une fraction non négligeable de l'électorat de droite - notamment centriste -, qui se disait soucieux que soit affiché un soutien au gouvernement, s'est rangée parmi les "sans opinion".
Cette progression de l'aspiration à un vote-sanction ne s'accompagne pas pour autant d'une "nationalisation" plus marquée du scrutin. 54 % des personnes interrogées - soit 1 point de moins par rapport à la précédente enquête - affirment qu'au moment de voter, ils se détermineront "en fonction des problèmes nationaux" ; 39 % - sans changement - privilégiant les "problèmes locaux". La marge acquise par les tenants du vote-sanction serait donc due à une plus grande défiance, vis-à-vis du gouvernement, de ceux qui considéraient déjà que les élections régionales ont un enjeu national. La perspective d'un vote-sanction se dessinant de plus en plus précisément, il reste à savoir à qui pourrait profiter cette tendance.
La mesure des intentions de vote laisse apparaître une grande stabilité de l'électorat par rapport au précédent sondage. Le total obtenu par les listes du PS, alliées au PCF et/ou aux Verts, les listes autonomes du PCF ou des Verts, ainsi que par les listes divers gauche s'élève à 39 %, contre 38,5 % dans la précédente enquête. A 6,5 %, l'extrême gauche perd 1 demi-point, mais reste à un étiage élevé, plus de 2 points au-dessus de son score aux régionales de mars 1998.
La droite - listes UMP alliées à l'UDF, listes UMP, listes UDF, listes divers droite - perd 1 point, à 34,5 % des intentions de vote. Si l'extrême droite - y compris le MNR - ne progresse que de 1 demi-point, le Front national, qui atteint 16 %, est la seule formation politique à avoir gagné 1 point d'une enquête à l'autre.
Pour mieux cerner le niveau du vote en faveur de l'extrême droite, dont on sait qu'il n'est pas toujours "assumé" ouvertement par ses électeurs, la Sofres précise qu'elle a fait "voter les interviewés dans une urne". En employant cette technique, l'institut TNS-Sofres a enregistré, depuis la mi-janvier, une progression quasi constante des intentions de vote en faveur de l'extrême droite, qui ont augmenté de 2 points et demi en deux mois.
La mesure de la "solidité" des intentions de vote leur donne davantage de relief. Sans surprise, la proportion des sondés se déclarant "sûrs de -leur- choix" progresse à mesure qu'approche l'échéance du scrutin. Ils sont désormais 74 % - soit 3 points de plus en deux semaines - à affirmer qu'ils ne changeront pas d'avis, 23 % (- 3 %) exprimant leur incertitude. Il est frappant de constater que les listes présentées par les formations de la majorité sont les seules à voir vaciller une partie de leur électorat potentiel : les sondés qui expriment une intention de vote en leur faveur ne sont plus que 73 %, contre 76 % précédemment, à se dire sûrs de leur choix. La gauche, l'extrême gauche et l'extrême droite enregistrent chacune, à l'inverse, une progression de 6 points de la "sûreté de choix" de leurs électeurs potentiels.
Touchées par le succès croissant du vote-sanction, les listes de la majorité, qui perdent 1 point d'intentions de vote et voient une partie de leurs partisans douter, sont les "perdantes" de cette cinquième vague du baromètre.
Selon ces mêmes critères, la seule formation politique qui semble marquer des points, d'une enquête à l'autre, est le FN. On peut ranger sans hésitation le parti de Jean-Marie Le Pen parmi les bénéficiaires potentiels d'un éventuel vote-sanction contre la politique gouvernementale. Le FN enregistre en outre, comme on l'a vu, un gain de 1 point d'intentions de vote. Et ceux des sondés qui ont glissé un "bulletin de vote" fictif dans l'urne de la Sofres se disent de plus en plus sûrs de leur choix.
Pris dans leur ensemble, les sondés sont également plus nombreux à se dire "sûrs de voter pour la liste du Front national" : ils sont 11 % dans ce cas, contre 8 % précédemment. Si l'on y ajoute ceux qui n'excluent pas de voter FN, "l'électorat potentiel théorique" du parti d'extrême droite s'établit à 26 %, en progression de 7 points, et retrouve le niveau qu'il avait enregistré à la mi-février. On observe, dans le même temps, une baisse de 6 points - 69 % contre 75 % - de la part des sondés qui se disent "sûrs de ne pas voter pour la liste du Front national". Stabilité de la gauche et de l'extrême gauche, effritement de la majorité et progression du FN ? Verdict dans les - vraies - urnes, le 21 mars.
Jean-Baptiste de Montvalon
Ce sondage a été réalisé les 10 et 11 mars auprès d'un échantillon de 1 000 électeurs, représentatifs de l'ensemble de la population française âgée de 18 ans et plus, interrogés en face à face à leur domicile.
Un désintérêt persistant pour le scrutin
L'intérêt des Français pour les élections régionales, qui est également mesuré par le baromètre de la Sofres, reste faible. 44 % des personnes interrogées déclarent s'y intéresser "beaucoup" (12 %) ou "assez" (32 %). Ils étaient 45 % lors de la précédente enquête. 56 % - soit un point de plus qu'il y a deux semaines - s'intéressent "peu" (37 %) ou "pas du tout" (19 %) au scrutin des 21 et 28 mars.
Ces chiffres sont quasiment stables depuis la mi-janvier, signe que la campagne électorale n'a pas eu d'effet sur l'intérêt des électeurs. S'il se confirme le jour du scrutin, ce désintérêt pourrait entraîner une forte abstention, qui serait elle-même susceptible de modifier sensiblement les rapports de force entre les différentes listes.